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Le patriarcat ; pourquoi ? et pour quoi ?

Nathalie Chevret-Dupouy

Room in New York - Edward Hopper
Room in New York - Edward Hopper

Notre époque réduit trop souvent le patriarcat à une perversion qui ferait que les hommes domineraient les femmes et les empêcheraient de s’émanciper. Mais il ne faut pas confondre les excès qui ont eu lieu dans l’époque moderne avec la réalisation d’un stade d’évolution pour l’homme. En effet, comme nous allons le voir, le moment d’une première opposition homme/femme a ouvert la possibilité d’une conscience.


Remontons à l’origine, à la Préhistoire : les premières représentations de la forme humaine connues à ce jour sont des statuettes féminines datant de l’époque du Paléolithique (environ 20 000 ans av. J.-C.). Les archéologues les nommèrent des Vénus et les assimilèrent à des déesses-mères. Elles se caractérisent par leurs formes rondes, un ventre à bourrelets, un corps bien en chair avec des seins fort généreux. C’est donc la femme “déesse-mère” qui, dès l’origine, inspire les premières représentations de l’espèce humaine sur terre, apparaissant dès la Préhistoire dans toute sa puissance de mère, du fait de ses propriétés de protection et de domination dues à la procréation.


Au XIXe siècle, le philologue Bachoffen proposa l’idée que le patriarcat aurait été précédé par une période où régnait le monde des femmes ; un monde féminin qu’il présente comme une période relativement idyllique. Sa thèse fut contestée notamment par les féministes qui voyaient dans cette position une justification du patriarcat : les hommes se seraient vengés de la domination des femmes en les dominant à leur tour. Cette vision caricaturale est contredite par l’observation de ce qui se joue dans les premiers moments de la vie où la mère et l’enfant sont particulièrement proches. Il s’agirait par conséquent moins d’une domination des femmes que d’une protection nécessaire de l’enfant. Ces déesses-mères voluptueuses traduisent cette vision d’une femme-mère plus enveloppante que dominante. En tout cas, rien ne permet d’affirmer sa domination.


Ainsi, on peut estimer qu’une longue période — notamment au Paléolithique — s’est écoulée au cours de laquelle hommes et femmes ont grandi ensemble. C’est sans doute ensuite au Néolithique, au moment où l’homme s’est sédentarisé et a inventé l’agriculture, que les choses ont basculé et que l’homme est sorti du giron maternel pour aller à la conquête du monde.


Le matriarcat se présente donc comme une première étape assimilable à la fusion originelle de la mère et de l’enfant, étape avant tout protectrice. On peut mettre en lien cette période avec la proximité de l’humanité et de la nature. Une deuxième étape patriarcale va permettre ensuite à l’homme d’affirmer ses capacités existentielles.


Avec le matriarcat, nous sommes dans l’être et c’est avec le patriarcat (passage de l’être à l’avoir) que l’homme va se verticaliser. Dans son hubris, il va tenter de s’approprier le monde, la terre et les femmes. On le voit, matriarcat et patriarcat n’existent pas l’un sans l’autre. Ils vont creuser les différences indispensables au mouvement de la vie.


Au moment de la Grèce antique (1 500 av. J.-C.), le patriarcat se met en place face au matriarcat. Les hommes et les femmes vont alors séparer leurs rôles : la femme reste dans le gynécée — “la maison des femmes” — et l’homme va s’occuper de la cité. La femme est destinée à l’intériorité, l’homme à l’extériorité. L’homme accède au pouvoir du verbe, c’est un véritable passage du muthos au logos.


La mère est dans le temps de l’origine (matriarcat) et le père dans le temps de l’avenir (patriarcat). C’est le passage de la Lune au Soleil, de la lumière cosmique à une lumière terrienne. C’est le temps de la rupture entre l’Orient et l’Occident. Les femmes alors vont perdre avec difficulté́ une place centrale et nécessaire du point de vue anthropologique mais, exclues de l’univers social, elles vont sans doute éprouver une première souffrance. De leur côté, les hommes se tournent vers l’extérieur, à l’agora, alors que les femmes y sont refusées. Elles sont reléguées dans leur rôle de mère et écartées des décisions concernant la cité, tout au moins en apparence.


Ces phases d’évolutions progressives nous montrent que le couple patriarcal homme/femme a dû s’imposer face au couple matriarcal mère/enfant réalisant là une acceptation de la limite et de la différence permettant donc une transition de la nature vers une culture.

Une nouvelle étape est désormais à franchir : celle d’un véritable dialogue.


Nathalie Chevret-Dupouy



1 Comment


Guest
Mar 14

Chère Nathalie, merci pour cette occasion de réflexion, je te livre la mienne : rien ne montre que la société des chasseurs-cueilleurs paléolithiques, n'ait pas été également patriarcale ou, tout du moins cantonnant globalement hommes et femmes à des tâches spécifiques au genre. Rien ne montre non plus que la femme de ces époques n'ait pas été considérée également comme un objet, en témoigne la réputation avérée de "voleurs de femmes" des quelques groupes "non contactés" qui survivent encore furtivement en Amazonie. Certes il y a une toute puissance de la mère pour l'enfant mais cette toute-puissance, (bien qu'à l'œuvre dans tout inconscient normalement névrosé) ne fait pas et n'a probablement jamais fait société, et, sauf exception, elle se cantonne…

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