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Le manque et le réel


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Ce que nous ne posséderons jamais, mais que nous pouvons tenter d'être...


Nous connaissons tous ce sentiment tenace de manque, cette impression qu'il nous manque quelque chose d'essentiel. Ce n'est pas un simple vide que l'on pourrait combler avec un nouvel achat ou une nouvelle activité. C'est une faille plus profonde, au cœur de notre être. Et si, au lieu de la fuir, nous commencions à la regarder autrement?


Ce manque n'est-il pas la marque la plus profonde de notre rapport au réel? Il ne nous montre pas seulement notre incapacité à tout comprendre, à tout saisir. Il est aussi le moteur de notre désir de vérité, de notre quête de sens. Nous essayons souvent de combler ce vide.


Platon y voyait la nécessité de s'élever vers un monde d'idées pures. D'autres y ont vu des réponses religieuses ou des concepts abstraits. Mais comme l'a souligné Lacan, le réel est ce qui ne peut être ni totalement imaginé, ni totalement symbolisé. C'est le point où notre langage et notre pensée échouent. C'est ce qui crée une brèche dans notre savoir. Habiter cette brèche c'est oser la liberté comme lâcher-prise.

Nietzsche a une autre approche : le réel n'est pas au-delà, il est dans la vie elle-même, dans son flux, sa force. La volonté de puissance n'est pas une domination, mais une poussée vitale. C'est l'affirmation de notre propre existence, notre cap

acité à nous transformer. Le réel est ce qui se manifeste et, en même temps, ce qui se dérobe. Tenter de le posséder est une illusion. Nous ne possédons pas le réel, nous le traversons. Nous l'habitons, nous l'épousons dans son mouvement constant. Dès lors, le manque prend un tout autre sens. II n'est plus une simple absence, mais le lieu où résonne un appel. C'est ce qui nous met en mouvement et nous ouvre à l'Autre, au mystère du monde.


Pour Heidegger, c'est dans et par l'angoisse, non pas une pathologie, mais une expérience de la vérité, que nous cessons de nous perdre dans le quotidien, notre mythe de tous les jours. L'angoisse nous rend disponibles pour une autre relation au monde, plus nue, plus fragile, mais aussi plus juste. Devenir plutôt que posséder. Ce que nous cherchons à posséder, la vérité, le sens et le réel, n'est pas fait pour être un objet que nous gardons. Toute tentative de le fixer le trahit. En revanche, nous pouvons l'habiter. Comme l'a si bien dit Simone Weil : "Nous ne possédons rien mais nous pouvons nous rendre présents à tout."


Et si "être" signifiait cela : non pas maîtriser le réel, mais s'y rendre présent, vulnérable et ouvert? Le réel ne se donne pas comme un objet à conquérir, mais comme une rencontre. Il se reçoit, non comme une possession, mais comme le moteur d'une transformation.

Ce que nous ne posséderons jamais, nous pouvons le devenir. Non pas en comblant le manque, mais en l'habitant. Non pas en supprimant l'angoisse, mais en la traversant avec lucidité.

C'est dans cette fragilité assumée, dans cette ouverture à ce qui nous échappe, que se trouve peut-être la forme la plus authentique de liberté : une liberté sans maîtrise, une vulnérabilité pleine de sens.


Christian Van den Haute


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