Pour son nouveau film sorti ce printemps, "En corps", le réalisateur français Cédric Klapisch a choisi…
Pour son nouveau film sorti ce printemps, "En corps", le réalisateur français Cédric Klapisch a choisi de raconter l'histoire d’une talentueuse danseuse classique, victime d'une grave blessure et qui va tenter de se reconstruire.
Élise, merveilleusement interprétée par Marion Barbeau (première danseuse du ballet de l'Opéra de Paris), est hantée par le souvenir de sa mère décédée qui l'avait encouragée à faire du ballet alors que son père aurait préféré qu'elle fasse des études de droit. Lors d'un spectacle, alors qu’elle vient de surprendre l’infidélité de son amoureux, Elise se blesse et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie est bouleversée et elle va devoir se réparer. Elle devient aide de cuisine dans une résidence d’artistes en Bretagne, où débarque un jour une compagnie de danse contemporaine. Cette rencontre va donner lieu à une véritable renaissance pour la jeune femme.
Comme ses précédentes réalisations, le dernier et quatorzième long-métrage de Cédric Klapisch révèle l’extraordinaire dans l’ordinaire. Fils d'un physicien et d'une psychanalyste, revendiquant une inspiration allant de Kubrick à Fellini, le cinéaste de 61 ans est un spécialiste de la comédie à nuances et un maître dans l’art de réinventer le réel. La danse a toujours été son jardin secret, comme en témoignait déjà son magnifique documentaire sur l'étoile Aurélie Dupont, L’espace d’un instant, en 2010. "Dans la danse, il y a quelque chose qui échappe, pas du tout comme le théâtre ou la peinture" a-t-il révélé lors d’une interview.
"Dès la séquence d’ouverture du film, le spectateur est plongé pendant quinze minutes sans parole dans les coulisses et sur la scène d’un ballet de danse classique, analyse Le Mag du Ciné. Klapisch nous offre alors un parcours sensoriel. Dans les pas d’Elise, il donne à voir, à sentir le corps de la danseuse en mouvement et tout ce qui s’agite autour d’elle. Le temps semble soudainement suspendu. Le cinéaste capte à la fois la légèreté et la lourdeur qui emplit peu à peu la tête d’Elise. La danseuse ne peut supporter la trahison dans sa chair et l’on sent dès lors vers quoi cette séquence mène, vers sa chute (dans tous les sens du terme)."
À l’orée de la trentaine, la jeune femme va devoir non pas réapprendre à danser mais réapprendre à vivre. Il ne s’agit plus de s’élever sur ses pointes et d’avoir la tête dans les étoiles mais de s’incarner dans le sol, dans la réalité. Au-delà de cette simple histoire de quête personnelle, d’apprentissage et de réparation, Klapisch veut et va aller plus loin, là où il est question de renaissance, de persévérance et de transcendance.
Le cheminement que l’homme va parcourir pour se rencontrer commence par une chute. Pour Elise, ce sera l’accident. Sa souffrance physique n’est que l’écho de sa souffrance morale où tout s’effondre : ses croyances, ses désirs premiers, ses projets. C’est ici que survient l’arrêt, la perte, le vide. Où une petite voix intérieure murmure "je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu." Par ce moment de néant et de mort, une autre direction apparaît, direction de la vérité de l’être. Dans une scène symbolique du film de Klapisch, Elise, dans l’incapacité de danser en raison de sa cheville toujours blessée, prend la place d’une morte dans un magnifique duo chorégraphique. Saisissante et émouvante séquence d’un corps sans vie où par la mort l’être se révèle.
Il faut en effet un corps pour accéder au beau et nos sens convoqués par la beauté nous conduisent à une intériorité transcendante. Par le médium de la danse contemporaine, Klapisch fait le pont entre deux mondes que l’on pourrait comparer au sacré et au barbare. Comme un pont entre Apollon et Dionysos. En effet, première pulsion sortant du corps et lieu de l’inconscient et des profondeurs, "la nature dionysienne veut l’ivresse, donc la proximité ; l’apollinien veut la clarté et la figure, donc la distance (...). Apollon ne veut rien savoir de la valeur éternelle de l’homme individuel. Le sens de ses manifestations est qu’elles n’attirent pas l’attention de l’homme sur la dignité de son être propre ni sur l’intériorité de son âme individuelle, mais sur ce qui dépasse la personne, sur l’immuable, sur les formes éternelles (...). Ce n’est pas la personne, mais - ce qui est plus - c’est l’esprit de ses perfections et de ses œuvres, qui surpasse la mort et demeure, dans le chant, éternellement jeune, de génération en génération." Walter Otto (L’esprit de la religion grecque ancienne).
C’est cela que nous offre Klapisch avec "En corps" : l’espace d’un instant, le spectateur est convoqué là où le danseur lui-même a dû s’élever pour révéler cette vérité. Il est touché par quelque chose qui lui échappe comme nous le dit le cinéaste à propos de la danse. Cet échappement le fait sortir momentanément de sa tragique et petite condition humaine pour ressentir l’immensément grand dont il fait partie et dont il s’origine. Origine que l’homme ne cesse, par son désir, de vouloir retrouver.
Nathalie CHEVRET
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