Malgré la modification des données moléculaires et hospitalières de la pandémie depuis début 2022, le positionnement épistémologique retenu face au virus est plutôt inchangé. Je propose ici un dévoilement interprétatif de la portée médicale du variant Omicron ainsi que de son origine africaine.
Depuis 2019, la pandémie de Sars-Cov-2 s’est paradoxalement illustrée de la manière la plus morbide par ses variant viraux les moins efficaces sur le plan de leur infectiosité, et de la contagiosité qui en a découlé. Le variant Omicron, lui, associé à des performances de propagation exceptionnelles, ignorant les innombrables barrières sanitaires qui lui ont été opposées, semble s’être étendu en premier lieu dans la région urbaine, densément peuplée de Gauteng, en Afrique du Sud, entre les métropoles de Johannesburg et de Pretoria, non loin de la frontière avec le Botswana. Au regard de la souche de référence Wuhan, il comporte 30 mutations dans la sequence d’acides aminés de la protéine Spike, intéragissant avec son récepteur ACE2 sur la cellule cible, ce qui est considérable. Deux mois après son émergence, ce variant s’est propagé dans 120 pays.
Chez Omicron, l’émergence et la propagation semblent indépendantes de la vaccination, puisque l’immunité issue de la vaccination ou des infections antérieures était faible en Afrique du Sud, lieu de propagation massive de ce variant, et que cette immunité était majoritairement étrangère aux caractères du nouveau virus, donc simplement inopérante, neutre. Si la vaccination protège bien des formes graves voire mortelles, ce que personne ne conteste et qui est crucial en termes de santé publique, elle ne semble pas jouer de rôle causal ou modulateur en ce qui concerne l’évènement évolutif majeur de la pandémie en termes génétiques : l’apparition du variant Omicron, qui sur un plan clinique, ne correspond plus vraiment d’ailleurs au même virus que les variants antérieurs. L’interférence entre les souches, phénomène connu en virologie, semble en fait être à l’origine de l’éviction d’une souche par une autre dans un espace propagatif fini, contraint.
Trois scénarios ont été évoqués quant à son apparition. Les séquençages auraient raté l’émergence de séquences atypiques malgré les millions de génomes considérés ; ce variant aurait lentement émergé au sein d’un individu immunodéprimé ; et enfin il aurait pu émerger au sein d’une espèce animale contaminée avant de revenir à l’homme sous une forme propagativement fulgurante.
Aucune donnée plus certaine qu’une autre ne permet de lier génétiquement ce variant à ses prédecesseurs. Darren Martin, un bioinformaticien de l’U. du Cap ne peut que constater qu’il semble provenir de nulle part (revue Nature, février 2022). Très récemment, Peter Markov, dans un commentaire critiquant la notion selon laquelle Omicron serait un bon exemple de virus plus adapté donc moins pathogène (Nature Reviews Microbiology, mai 2022), propose que son émergence en tant que telle ne soit qu’une pure coincidence, notion peu propice à une progression spéculative si l’enjeu est bien de relever le défi fécond, maintenant considéré comme légitime, d’une supposée rationalité du réel sanitaire.
Nous allons donc assumer de faire un bond au-dessus de ces incertitudes fondées sur une ambiance stochastique, en vue d’une approche phénoménologique voire éthique d’Omicron.
Le fait que les scientifiques considèrent ce génome comme le plus ‘fou (Ibid. 3 fév. 2022) ’ est signifiant de l’implication d’une instabilité somme toute créatrice, d’un chaos inventif, dont la mythologie et la poésie (citons Hölderlin, et Le Jour de fête par exemple) peuvent rendre compte aussi. Nietzsche l’aurait considérée comme dyonisiaque, reconfigurant violemment les marqueurs d’évolution génétique de la pandémie, d'une manière métamorale.
Jesse Bloom, geneticien virologue, nous indique dans ce même article du journal Nature que Omicron est un enseignant d’humilité en termes d’évaluation de nos performances en génétique virale. L’humilité a à voir avec l’humus, la terre, le recommencement, une forme de stase, de silence (la jachère) en vue d’un futur accueil confiant d’une nouvelle figure censée apparaître. A ce stade, j’aimerais donc, dans cette ambiance, fonder mon dernier argument sur une vue de la pandémie non pas conditionnée par une vision somme toute binaire entre un virus forcément pathogène et une santé définie par l’absence d’infection. Je pense à nouveau à Hölderlin, qui, méditant Pindare, nous indique, sous une influence hégélienne évidente, que le plus rigoureux est la médiation. Si le plus rigoureux est la médiation, on peut penser que le plus bénéfique est aussi la médiation entre la maladie coronavirale mondialisée et la santé, c’est-à-dire une forme de pédagogie de retour à la santé, au profit du patient. Un virus pédagogue me semble donc préférable à une absence de virus, dans le sens où il autorise son propre dépassement par le malade, pour son avancement. Selon une épistémologie hégélienne, optimiste donc, un virus pédagogue autorise ce même malade à en récupérer le concept (qui chez Hegel est pleinement effectif, donc incarné, médicalement même, contrairement à son acception plus théorisante en général), en vue d’un avancement immunitaire autorisant de manière plus assurée des rencontres futures avec d’autres formes virales. Il est ici intéressant de rappeler ici, comme dans d’autres billets proposés dans Hauteur de Vue, que la parentalité ne s’y trompe généralement pas en favorisant l’accès des enfants aux crèches, dont une des initiations supposées est bel et bien l’exposition à toutes sortes d’agents infectieux.
Nous disions que les virologues n’excluent pas l’implication d’un hôte animal intermédiaire, en particulier murin, peut-être le rat, dans l’émergence d’Omicron. Il serait donc à méditer ici que la proximité, ou la promiscuité, est source d’échanges effectifs. Toute l’équivoque de l’isthme en géographie, de la médiation en phénoménologie, acquière ici son insondabilité.
Nous parlions de proximité. Omicron est donc apparu au Botswana ainsi qu’en Afrique du Sud. Il est intéressant de constater que ces pays souvent considérés d’une manière assez condescendante sur le plan des performances de leurs systèmes de santé (termes logistico-sportifs tout à fait Occidentaux), ou de leur rapport au concept d’hygiène, connoté s’il en est, sont ceux qui ont abrité les évènements moléculaires puis pathologiques, puis cliniques à l’origine de l’apparition du virus le plus rapidement éducatif sur le plan immunologique de l’histoire de la virologie. En cela, ce variant a largement contribué à la protection à large échelle de millions de personnes dans le monde chaque jour, tant par éducation immunologique des personnes infectées, que par interférence virale très probable protectrice vis-à-vis des souches précédentes. Cette pédagogie immunologique et cette interférence protectrice seraient demeurées hors de portée si les variants précédents étaient restés seuls présents. Ces notions s’intègrent dans un champ de refoulement culturel qu’il est bon d’ouvrir de manière à ne plus vraiment pouvoir s’appuyer sur les restes d’un dualisme néocartésien épistémologiquement narcissisant, autorisant à considérer que la science d’héritage occidental est la guérisseuse et que les émergences microbiennes non régulables proviennent elles de la chair humaine profonde, inconsciente, des pays du Sud.
Globalement, l’idée selon laquelle une pandémie débute par de la recherche en virologie (Wuhan) et semble à même de s’achever (en tout cas eu égard au nombre de victimes) par le concours de populations globalement défavorisées, immunodéprimées, ou d’animaux, tous africains, censés l’exacerber dans un certain inconscient collectif, serait d’un intérêt symbolique particulier. Le statut viral, à la différence du statut bactérien (voir un précédent billet intitulé ‘L’être du virus ‘), est un excellent enseignant pour nous indiquer qu’une certaine volonté au cœur de la chair profonde de l’homme, accoucheuse de ces mutations Omicron émancipatrices, était à même de contribuer au dépassement de cette pandémie, maintenant envisageable. Les caractères moléculaires du virus en tant qu’entité infectieuse dont le complexe de réplication, générateur des mutations virales, n’est activable que sous une forme intégralement modulée par la cellule hôte, contrairement à tous les autres représentants du monde microbien, sont ici décisives.
Il s’agit pour nous, aussi, d’un exemple en acte de la multipolarité du monde couramment souhaitée par les plus puissants en diplomatie voire en géopolitique. Le corps et ses créations leur sont supérieurs, mais plus discrets, plus élégants, autorisant des collaborations transcontinentales inconscientes.
Romain Parent
[Pharmacien virologiste. Enseignant en philosophie et psychanalyse à l'université.]
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